J’ai chiné un vieux livre de recettes La cuisine familiale : manger mieux, dépenser moins, 1500 recettes pratiques, faciles et économiques – Le guide de la maîtresse de maison, il date des années 30.
J’aime bien chiner et trouver de vieilles choses, j’étais curieuse de voir ce qu’il y avait dans ce livre. Rien qu’en lisant la préface, j’ai été servie…
Je voulais partager cela :
Questionnant, un jour, un important libraire, je lui posais cette question : « Quels sont les livres qui se demandent le plus ? » et il me répondit : « Les livres de cuisine. » Puis, il ajouta : « Surtout depuis la guerre. » Rien de plus vrai et de plus compréhensible à la fois. Malgré la grande envie qu’elles en ont, les ménagères actuelles ne savent pas ou presque pas faire la cuisine. La raison ? Jeunes filles, je parle de celles du temps de la guerre, eles n’ont pas pu apprendre à cuisiner en raison des difficultés d’approvisionnement. La plupart des choses indispensables faisaient alors défaut. Peu ou presque pas de poisson de mer ou d’eau douce, les pêcheurs ayant abandonné les filets ou la ligne pour le fusil; absence totale de gibier, la chasse demeurant interdite; pas de primeurs; presque pas de pommes de terre; la farine très rare, les pâtes alimentaires également, pénurie de lait, d’oeufs, pour ainsi dire pas de sucre.
Comment apprendre à cuisiner dans de telles conditions d’indigence ? Ceci explique très bien l’ignorance de l’art de la cuisine chez les ménagères nouvelles promues. Après l’armistice, on vit réapparaître sur les marchés tout ce qui nous faisait défaut pendant la guerre. Certes, les prix avaient terriblement augmenté; mais, enfin, il y avait du choix. On pouvait donc espérer voir les jeunes filles à la veille du mariage s’adonner, tout comme leurs aînées d’avant-guerre, à l’étude de la préparation des plats cuisinés.
Hélas ! il n’en fut rien. La fièvre des cinémas, des thés et des dancings en décida autrement. Les jeunes filles, tout au moins la plupart d’entre elles, ne comprirent pas l’importance du rôle qu’elles allaient être appelées à jouer, ce rôle que les revuistes appelaient en riant : « Le rôle saucial de la femme ». Quel programme ! Quelle vocation ! Certes, que cette jeunesse ait sacrifié un peu trop aux plaisirs, soit ! Mais pourquoi ne pas être allé plus souvent faire un tour à la cuisine !
Aujourd’hui que les voici mariées, elles se rendent compte, un peu tard, de l’infériorité que leur vaut cette grave lacune qu’est leur absence du savoir-faire culinaire. De là, la nécessité où elles trouvent de se procurer le Manuel Pratique de recettes culinaires dans lequel elles pourront s’initier théoriquement d’abord, et pratiquement par la suite, à des préparations culinaires dont la confection et la réussite sont indispensables au bien-être du foyer.
Songez, jeunes ménagères, que votre mari a fait la guerre ou participé à l’occupation, qu’il a vécu, en tout cas, ces dures années de la guerre et de l’après-guerre, durant lesquelles il n’est pas exagéré de dire qu’il n’a pas toujours bien mangé. C’est à présent pour lui une compensation des plus agréables de trouver en rentrant au logis : table dressée et plats bien cuisinés; car, ne l’oubliez pas, ne l’oubliez jamais : le chemin qui conduit au coeur de l’époux et des enfants passe quelquefois par l’estomac.
Et c’est justement à l’inexpérience notoire de la plupart des ménagères qu’est due, en partie, la crise actuelle des cordons bleus et des servantes. Ces dernières ont élevé leurs prétentions au fur et à mesure que grossissait le nombre des demandes. Il faut donc à la plupart d’entre vous, et cela pour obvier à la crise des cordons bleus et des servantes, apprendre à cuisiner et, mettant la main à la pâte, à ne compter que sur vous-mêmes.
Utilisez pour cela, et le plus possible, les nouvelles machines de toutes dimensions qui se créent actuellement, machines à remplacer dans les ménages la main-d’oeuvre défaillante ou par trop exigeante. Ayez des intérieurs pratiques d’où sera banni le superfétatoire. Du mobilier, le strict nécessaire, évitez les tentures, les larges rideaux, réduisez les tapis, nids à poussière, tout cela est vieux jeu et exige trop d’entretien. Mais, par exemple, soignez bien la cuisine. Faites à votre époux, à vos enfants une cuisine raisonnable et raisonnée. Bien entendu, raisonnable, parce-qu’en rapport aux possibilités de votre bourse, et raisonnée parce-qu’elle s’adaptera au degré d’appétit et au goût de ceux auxquels vous la destinerez.
Certes, je sais que la chose n’est pas très facile, et je vous entends d’ici me dire : « Je voudrais bien ne faire que de la cuisine au goût de tous; mais, actuellement, tout le monde est devenu gourmand alors que tout est hors de prix ! » Certes, c’est parler d’or. Hélas ! on ne peut qu’en parler puisqu’on n’en voit plus, mais, à cela je vous réponds : « Raison de plus pour faire de la cuisine raisonnée. Il y a des plats que l’on peut ne pas aimer la première fois, mais que, par la suite, on finit par apprécier. Certains exigent une plus longue préparation et plus de science, mais on est récompensé de l’effort fourni parce que, généralement, ces plats – je parle des ragoûts, des sautés, des braisés, des étuvés, sont avantageux, parce que meilleur marché et substantiels; ce sont des plats avec lesquels on mange davantage de pain, et où l’on peut faire entrer une garniture variée de légumes, lesquels, ne l’oubliez pas et aussi par trop onéreux si, renonçant à toutes les préparations culinaires longues à préparer mais n’exigeant que des parties de la bête se vendant bon marché, on s’en tenait exclusivement aux rôtis, aux grillades et aux sautés « minute », pour lesquels sont absolument indispensables les morceaux de choix de la bête, toujours très chers. C’est là de la cuisine instantanée, de la cuisine volante, le triomphe de la poêle, du four et du gril… la cuisine à la Landru.
Je ne la condamne pas, mais je vous mets en garde contre ce qu’elle a d’onéreux si on la répète trop souvent dans un ménage au budget limité. Un préjugé derrière lequel se retranchent trop de ménagères et qui fait du tort aux plats étuvés, braisés ou bouillis, est que leur préparation exige trop de temps, donc trop de combustible. Argument spécieux devant lequel je m’insurge. Pendant l’hiver qui est long, laisse-t’on, durant la journée, s’éteindre le fourneau de cuisine ? Non, n’est-ce pas ?
Pendant la belle saison et les chaleurs, durant lesquelles on mange moins de viande et davantage de légumes, voire des crustacés et des poissons froids, si le fourneau est éteint il vous reste le réchaud à gaz, lequel, pour les cuissons de longue durée, fournit le calorique idéal, ainsi d’ailleurs que l’électricité, malheureusement plus coûteuse.
Avec le gaz, sitôt obtenue l’ébullition, vous réglez la flamme à votre gré et, même très légère, cette flamme suffira à maintenir une ébullition continue lente et régulière, la seule qui convienne aux plats « mijotés »; d’où économie de combustible par rapport au fourneau chauffé à la houille qu’il faut constamment surveiller pour maintenir son degré de chauffe.
Si je vous recommande les bons plats de ménage, je tiens également à insister sur la nécessité qu’il y a à corser le menu du jour en légumes secs et frais et en légumes de la saison; car je déconseille autant que possible les conserves.
Je sais bien qu’il est très facile d’ouvrir une boîte de conserves et d’en faire chauffer le contenu.
C’est justement parce que, c’est trop facile qu’il ne faut pas vous y habituer. Certes, je ne rejette pas l’usage des conserves, mais je conseille d’en user très modérément.
Je recommande les légumes, tous les légumes frais bien entendu, car légumes et fruits sont indispensables au bon fonctionnement de notre organisme et, d’accord avec mon bon maître, l’hygiéniste L. G. Rancoule, j’affirme qu’ils peuvent nous prémunir contre de graves maladies. Le jus de fruits frais, tel le jus de citron ou de raisin, demeurent la panacée contre les graves inconvénients que présente pour les enfants le dangereux régime de tout ce qui est pasteurisé, c’est-à-dire conservé à l’état de matière morte.
Légumes et fruits sont les meilleurs antidotes du régime exagérément carné, car, inutile de le dissimuler, nous avons tendance à manger trop de viande. Et n’oublions pas que la science de plus en plus accuse le régime trop carné de prédisposer à l’appendicite, au cancer, à l’artériosclérose. Nous devons aussi souvent manger du poisson.
La plupart des ménagères prétendent que le poisson est cher. Si cher qu’il soit, il coûte néanmoins 500/0 meilleur marché que la viande. D’ailleurs derrière ce grief se cache souvent chez la ménagère la volonté de ne pas vouloir le préparer.
Les ménagères hésitent la plupart du temps parce qu’elles ne savent pas préparer le poisson. Et le mal est qu’elles ne font aucun effort pour l’apprendre. Si, par hasard elles en achètent, c’est toujours le même, celui qu’elles connaissent. Evidemment, c’est bon, c’est bon une fois, deux fois, trois fois, mais tout de même à la longue cela devient fastidieux. Et je comprends très bien que le mari, retour de son travail, réclame de préférence un bifteck. Pourquoi faut-il manger souvent du poisson ? Mais tout simplement parce que cela varie le menu journalier; puis chose qui a une importance considérable, si l’on consomme beaucoup de poisson, cela contribuera à faire baisser le prix des autres denrées alimentaires, spécialement ceux des viandes de boucherie ou de la volaille. Et, comme aliment, le poisson véhicule des aliments nutritifs indispensables qui ne se trouvent point dans les céréales et légumes.
Et n’oubliez pas que le poisson, comme la viande, se prête à toutes les préparations; on peut le griller, le rôtir, le braiser, en faire des ragoûts, des salades, voire des soupes.
C’est parce-que je me rends très bien compte de la situation des ménagères, des soucis qui les assaillent dès le matin en se voyant aux prises avec les affres de la vie chère, que je recommande, soit dans les quotidiens auxquels je collabore, soit dans les conférences aux écoles ménagères ou par « sans fil », de faire le plus possible preuve de méthode dans l’emploi journalier du budget destiné à l’élaboration des deux menus quotidiens.
Exercice bien difficile parce que subordonné à la valeur du contenu de la bourse. Il y a des préjugés à vaincre, je vous en fais connaître. Dans les nombreuses recettes contenues dans ce manuel de cuisine familiale, faites votre choix, consultez-le souvent, et si, par hasard – cela vous arrivera – vous ratez un plat, ne vous découragez pas, essayez à nouveau, le succès sera votre récompense et il couronne toujours les efforts persévérants.
Apprenez à cuisiner, à bien cuisiner, la vie familiale si douce en France dans nos familles est faite de bien des choses, mais qui dira le rôle prépondérant qu’y joue notre incomparable cuisine que le monde nous envie – la seule cuisine qui soit digne de ce nom, la cuisine saine d’où est bannie toute sophistication, la cuisine succulente de nos vieilles provinces, la cuisine française.
Paul Bouillard
j’adore les livres qui ont vécu, on voit qu’ils ont une histoire ! et encore + sur les livres de cuisines :)
(les vieux livres de cuisine ont souvent de meilleures recettes que les nouveaux ultras modernes !)